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L'euro : quel avenir dans un monde en redéfinition ?

  • Photo du rédacteur: Paul Gagnon
    Paul Gagnon
  • 7 mai
  • 4 min de lecture

Alors que les grandes puissances redessinent les lignes du monde, l’Union européenne (UE) se trouve à un moment charnière de son histoire. Sous pression d’un second mandat Trump en mode MAGA, face à la guerre prolongée en Ukraine, l’hypothèque russe et la montée méthodique de la Chine, l’UE est sommée de se redéfinir – politiquement, stratégiquement, militairement et économiquement.


Dans ce contexte, et pour peser réellement face aux mastodontes géopolitiques, la fédéralisation de l’Europe semble être la voie à privilégier. En effet, pour parler d’égal à égal avec les États-Unis et la Chine, l’UE devra sortir du flou institutionnel. Mais la route menant vers le fédéralisme est semé d’embûches et implique nécessairement, entre autres, de faire de l’euro une monnaie complète.


L’euro, clef de voûte ou talon d’Achille ?


Pourquoi complète ? Parce qu’en l’état, l’euro est aujourd’hui une monnaie inachevée. C’est-à-dire une monnaie sans État, avec une politique monétaire unique mais sans politique budgétaire ou fiscale commune. Ce qui l’empêche de jouer son plein rôle de monnaie à l’instar d’une devise nationale.


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Sans convergence réelle entre ses 20 pays membres, la zone euro en est réduite à fonctionner à cliquet : les écarts économiques et financiers s’enracinent, les tensions se figent. Le Portugal ne deviendra pas l’Allemagne. La Grèce ne rattrapera pas la compétitivité des Pays-Bas. Que dire de la fragilité financière et politique de la France ? Sans convergence, cette union monétaire devient une camisole pour les plus fragiles et un irritant pour les plus performants.

Faire de l’euro un véritable levier de souveraineté européenne nécessiterait donc un saut fédéral : mutualisation des dettes, coordination budgétaire, redistribution ciblée, stratégie industrielle intégrée, etc.


Problème : les conditions politiques de ce saut sont absentes


Le problème est que les pays du Nord n’en veulent probablement pas, redoutant une « union de transferts » permanente et une dilution de leur rigueur financière. De plus, un nombre croissant de citoyens, ballotés entre crises et désillusions, adhèrent de moins en moins à un récit européen construit sur des promesses abstraites. Même les investisseurs doutent de sa pérennité comme en fait foi ce commentaire lu dans un article récent du journal Les Échos.


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Autre grand point d’interrogation, que fera l’Allemagne ? Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis ont appuyé leur stratégie européenne sur l’Allemagne. Laquelle le leur a bien rendu. Le pays saura-t-il s’affranchir de cette « tutelle » américaine ? Le nouveau chancelier Friedrich Merz se dit très pro-européen mais attendons de voir et jugeons sur facture. Un bon indicateur de cela sera la manière dont il tirera parti de l’assouplissement des règles allemandes strictes en matière de déficit public qu’il a poussé afin de pouvoir financer son programme de réarmement national et de modernisation du pays (une initiative contestée au sein de son propre camp). Avec son faible taux d’endettement et sa force de frappe économique, l’Allemagne dispose d’un bazooka financier. Mais cela amène quelques importantes interrogations : à combien s’élèvera la dose, à quoi sera-t-elle employée et où ? Une autre interrogation concerne la position de fragilité de Merz sur le plan de la politique intérieure. Cette fragilité altèrera-t-elle les ambitions et orientations du plan voulues par Merz?

Ainsi, l’Allemagne jouera-t-elle le rôle de sauveur de l’Europe économique comme la Chine l’a fait pour le monde au sortir de la crise des subprimes ? Quels effets cette injection de liquidités aura sur le cours de l’euro, les taux d’intérêt, l’inflation, le commerce extérieur ? Ce retournement de la doxa monétaire allemande est-il le signe d’un réel et profond virage européen et fédéraliste de la part de la locomotive européenne ?


L’urgence immédiate reste l’euro


L’ordre monétaire mondial est sous tension :


  • Le dollar reste dominant, mais fragilisé par l’endettement américain et une polarisation géopolitique croissante.

  • La Chine de son côté pousse son influence monétaire via ses partenariats bilatéraux et ses infrastructures numériques.

  • Les BRICS avancent pas à pas vers des alternatives, même imparfaites, aux systèmes dominés par l’Occident.


Et partout, la confiance dans les monnaies fiduciaires traditionnelles s’effrite.

Le projet d’euro numérique est présenté par la Banque Centrale Européenne comme l’alternative institutionnelle moderne. Mais sans réelle intégration monétaire fédérale, l’euro, même numérique, restera une monnaie inachevée. De plus, derrière le vernis technologique, les monnaies numériques de banques centrales (MNBC) perpétuent les mêmes logiques que les monnaies fiduciaires actuelles mais avec en prime, un risque accru de contrôle, de surveillance et de gestion politique centralisée de la masse monétaire. Les MNBC ne réforment pas le système monétaire. Elles le numérisent – et le renforcent dans sa logique de pilotage top-down.

Dans cet environnement chahuté, l’avenir de l’euro devient un test grandeur nature :


  • L’Europe est-elle capable de repenser son architecture économique et politique ?

  • Peut-elle faire évoluer sa monnaie pour en faire un instrument de puissance plutôt qu’un fardeau institutionnel ?

  • Et a-t-elle, pour cela, les dirigeants capables de refonder l’avenir d’une Europe plus souveraine ?


L’histoire ne pardonne pas les ambiguïtés prolongées. L’euro peut être sauvé. Mais il ne le sera pas sans une lucidité politique inédite, un changement générationnel dans les cercles décisionnels, et une volonté assumée de faire de l’Europe une puissance politique et monétaire à part entière.

Et vous, pensez-vous que l’Europe peut franchir ce cap ? Ou bien l’euro est-il condamné à refléter un projet européen qui n’a plus l’énergie de se réinventer ?

Vos réflexions sont bienvenues.

 
 
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